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Dossier: Le boss qui se sentait seul

Gare de Lausanne, il est 18h un vendredi soir. Le hall grouille de gens pressés qui se déplacent comme des fourmis, précis dans leur trajet, pressés par l’horaire. Et vous êtes là, fatigué par une semaine de travail prenante. La tête en vrac, arrêté, saoulé par le bruit, l’agitation, le monde. Et soudain, cette impression étrange que vous n’appartenez pas à la scène. Vous en êtes le spectateur. Perdu, seul, terriblement seul.

Cette scène de vie quotidienne qui nous relie les uns aux autres illustre à merveille le sentiment plus d’une fois éprouvé par les chefs d’entreprise que je côtoie. Quoi? Les patrons se sentent seuls? Et alors, me direz-vous. Ils sont patrons, ils sont payés pour. Permettez-moi d’objecter. La solitude n’est un bien pour personne, chefs d’entreprise compris. Pour être précis, par solitude, je n’entends pas celle que l’on assimile à cette vague du «bien-être», prendre du temps pour soi ou revenir à l’essentiel. Non, je veux parler ici de celle qui s’apparente à l’isolement, la solitude qui pèse lourd, qui devient tellement insupportable qu’elle finit par rendre malade, par consumer le chef d’entreprise. Littéralement, celle qui provoque le «burn». D’où vient-elle? A quoi ressemble-t-elle?

L’image du big boss

Le rôle du patron s’est complexifié au cours des dernières décennies (le terme patron désigne dans cet article un rôle de directeur, d’entrepreneur ou de membre influent d’un conseil d’administration, indépendamment du genre de la ou du protagoniste). Certes, il croule sous les responsabilités. Mais, quand bien même, tous ne sombrent pas sous le poids de l’agenda et des budgets annuels. Il y a plus. Il faut se pencher sur l’image renvoyée par le chef d’entreprise. Cette solitude est directement liée à son rôle de «dernier recours» à la décision. Bien souvent, il paraît trop influent pour être interpellé ou trop tête brûlée dans les risques qu’il prend pour être compris. Pourtant, il aimerait que l’on sache qu’il n’est pas comme ça! Peut-être un peu, mais pas seulement. Certes, ces perceptions externes peuvent conduire un manager à se sentir seul et incompris, tout en ayant le sentiment de se sacrifier pour ses collaborateurs. Et puis, même s’il était populaire, il y aurait toujours les jaloux et les mécontents.

Un paradoxe

Dernièrement, un patron de PME m’expliquait que tout ce qu’il offre généreusement à ses collaborateurs paraît être un «dû», normal aux yeux de ceux qui l’entourent, parce qu’il est directeur, justement. De quoi l’ancrer un peu plus dans son impression d’isolement et son mutisme. Mais, comprenez-moi bien, la faute de cette mise à l’écart n’incombe pas aux autres; l’entrepreneur-créateur se positionne également très souvent comme le détenteur des bonnes idées, avec la conviction que l’entourage pourrait risquer de les dénaturer. De fait, il préfère avancer seul. Quel paradoxe!

«Un chef est un homme qui a besoin des autres»,

Paul Valéry

Solitaire, mais jamais seul

Oui, le chef d’entreprise est une personnalité complexe, qui «s’est faite elle-même». Pourtant, Pablo Picasso disait que «rien ne peut être fait dans la solitude». Etonnant pour un artiste, non? Et effectivement, qui que nous soyons, nous ne sommes pas «tout» à nous seuls. Le reconnaître, c’est déjà une première étape pour sortir de la solitude. Certainement Picasso l’avait-il profondément vécu dans son entreprise, dans son art. Si nous ne sommes pas «complets» à nous-mêmes, il importe donc que l’équipe du patron – au sens large – s’agrandisse et qu’il puisse ouvrir la porte de son intimité à d’autres personnes, qui lui permettront de partager et de confronter ses idées, ses défis, ses joies, ses craintes et, pourquoi pas, ses pleurs.

Plaisir et partage

Aujourd’hui, nombreuses sont les solutions offertes pour sortir de cet isolement qui guette à la porte du bureau de la direction. Le coaching d’entrepreneurs se répand ainsi de plus en plus. Des clubs, des tables rondes d’entrepreneurs qui désirent se rencontrer pour échanger sur leurs problématiques se développent et les traditionnels repas d’affaires sont aussi l’occasion d’allier plaisir et partage. L’entourage est aussi très important car, comme on le dit souvent, derrière tout grand patron, il y a un conjoint précieux.

Un changement d’attitude

C’est bel et bien au patron de prendre son destin en main et de faire le choix de sortir de cet isolement et de chercher la ou les solutions qui lui conviennent. C’est un choix de tous les jours et, de surcroît, un combat. Se soumettre au regard de l’autre, c’est faire preuve d’humilité. Certes, ce n’est pas toujours la qualité première du patron, mais il s’agit certainement d’une clé importante pour amorcer un changement d’attitude: «Un chef est un homme qui a besoin des autres», disait Paul Valéry.

Nathanaël Pittet

Fondateur et Directeur d’Orava SA

Cet article fait partie du dossier Je suis patron et je me sens seul, paru dans le magazine Focus PME du mois d’avril 2016